Tortue caouanne destinée au marché aux poissons, Belize, Amérique centrale © Kurt Amsler
Bonn, le 22 mars 2022 – Dans la majeure partie du monde, et en particulier dans les régions tropicales et subtropicales, les animaux sauvages aquatiques sont capturés ou attrapés de façon opportuniste, et leur viande, les parties de leurs corps et/ou leurs œufs sont consommés à des fins de subsistance locale ou utilisés à des fins traditionnelles.
Ce type de consommation est largement répandu et existe, dans certains endroits, depuis des millénaires. Il peut constituer une ressource importante pour les communautés en matière de nutrition, de revenus et d’identité culturelle. Cependant, les possibilités économiques liées à l’exploitation de la faune sauvage à plus grande échelle ont conduit à des pratiques non durables à l’égard de certaines espèces.
Dans la littérature, peu d’attention a été accordée à l’exploitation, à des fins alimentaires ou autres, des animaux aquatiques autres que les poissons. Comprendre la portée et la menace potentielle que représente l’exploitation de la viande d’animaux sauvages aquatiques est un premier pas important en vue d’inscrire dûment cette question à l’ordre du jour des politiques internationales et de la gestion de la conservation.
Le 21 mars, un examen de la littérature et une vue d’ensemble de l’utilisation actuelle de la mégafaune aquatique (cétacés, siréniens, chéloniens et crocodiliens) dans les régions tropicales et subtropicales du monde concernant 37 espèces inscrites aux annexes de la Convention sur les espèces migratrices (CMS) ont été publiés. Ces travaux sont le fruit de discussions tenues au sein du Groupe de travail de la CMS sur la viande d’animaux sauvages aquatiques, institué par la COP12 (2017), et contribuent à l’exécution des mandats confiés au Groupe de travail dans la Décision 13.64. Des membres de ce groupe de travail figurent parmi les contributeurs à cette étude.
L’étude [en anglais], disponible en libre accès, conclut que la consommation d’animaux appartenant à la mégafaune aquatique est largement répandue dans les régions côtières, bien qu’à des degrés divers, et que certaines espèces sont susceptibles d’être menacées par la surexploitation, notamment la mégafaune fluviale. Toutefois, il est rarement possible de quantifier, avec certitude scientifique, l’impact des prélèvements pour la viande d’animaux sauvages aquatiques sur l’état de conservation des populations d’origine.
Illustration 1. Mégafaune aquatique migratrice exploitée pour l’utilisation de sa viande, notamment : (A) Dauphin à bosse de l’Atlantique (Sousa teuszii), Parc national de Conkouati-Douli, République du Congo ; (B) Lamantin d’Afrique (Trichechus senegalensis), Lagune de Lagos, Nigeria ; (C) Tortue verte (Chélonia mydriase), Joal, Sénégal ; et (D) Collection d’œufs de crocodile marin (Crocodylus porosus), Territoire du Nord, Australie. Crédits photos : Tim Collins (A), Christogonus Uzoma Ejimadu (B), Pearson McGovern, African Aquatic Conservation Fund (C) et Yusuke Fukuda (D).
Par exemple, des études sont menées sur le prélèvement et le commerce de petits cétacés en Amérique du Sud continentale, dans le golfe de Guinée, sur la côte sud-ouest de l’Inde et en Asie du Sud-Est. Dans de nombreux endroits, on considère que tuer les cétacés capturés accidentellement dans les engins de pêche plutôt que de les relâcher constitue une menace pour les cétacés migrateurs.
La plupart des populations de siréniens ne survivent pas aux pertes causées par les humains et les populations de lamantins d’Afrique de l’Ouest ont subi des pertes importantes au cours des dernières années. Par ailleurs, les populations indigènes du nord de l’Australie, qui abrite les plus larges populations de siréniens, pratiquent le prélèvement de dugongs pour leur viande sauvage aquatique depuis plus de 4 000 ans. Ce constat montre clairement que la durabilité des prélèvements peut être influencée par les différences qui existent entre les situations locales, telles que les facteurs de chasse et de consommation, les technologies de chasse utilisées, la densité humaine, les autres menaces pesant sur les animaux et leurs habitats et leur évolution dans le temps.
La capture et la consommation des tortues marines adultes et le prélèvement de leurs œufs sont monnaie courante dans une grande partie de l’aire de répartition de l’espèce, notamment dans les Caraïbes, en Asie du Sud-Est, au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et chez les populations indigènes du nord de l’Australie. Malgré l’existence de programmes de gestion dans certains endroits et d’éléments attestant un déclin significatif des populations et de la nidification en raison des exploitations passées et présentes dans de nombreux pays, les prélèvements à petite échelle sont pratiqués depuis des millénaires dans certains pays et ils peuvent être gérés de manière durable pour la viande d’animaux sauvages aquatiques et pour d’autres produits.
Même s’ils sont opportunistes, les prélèvements peuvent présenter des risques particulièrement élevés pour la mégafaune fluviale, car ils sont aggravés par les menaces uniques qui pèsent sur les espèces fluviales, telles que les barrages, la pêche intensive et la pollution dans les régions où la densité de population humaine est élevée. C’est le cas des dauphins de rivière, des lamantins et des tortues d’eau douce. Le manque de gestion et de recherche peut nuire à la mégafaune fluviale, car elle n’est considérée ni comme une espèce terrestre ni comme une espèce de poisson, et elle nécessite des efforts accrus en la matière.
Il est clair que le nombre d’espèces appartenant à la mégafaune aquatique et la fréquence de leur utilisation pour la viande sauvage aquatique sont probablement beaucoup plus élevés que ce qui est indiqué dans l’étude. La surveillance et les rapports sont limités ; en outre, de nombreuses espèces sont protégées par des lois nationales ou sont charismatiques, ce qui implique que leur utilisation se fait dans la plus grande discrétion. La nature transfrontière des prélèvements et du commerce associé de ces espèces océaniques, côtières et fluviales exige une attention et une coopération internationales accrues. Bien qu’il soit raisonnable d’adopter une approche prudente en l’absence de données quantitatives sur les niveaux de prélèvement, sur la taille des populations et sur les tendances relatives à la plupart des espèces utilisées pour la viande d’animaux sauvages aquatiques, il existe de solides arguments en faveur d’une recherche plus approfondie sur les prélèvements qui semblent durables.
L’étude se conclut par une série de recommandations claires pour la recherche et la politique qui seront portées à l’attention de la CMS dans le cadre du mandat du Groupe de travail sur la viande d’animaux sauvages aquatiques.
Notes à l’intention des rédacteurs :
Informations bibliographiques :
Voir la publication en ligne : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmars.2022.837447/full.
Le présent article est une publication en libre accès disponible pour les lecteurs du monde entier.
Sujet connexe :
En septembre 2021, la CMS a publié un rapport sur les effets du prélèvement, du commerce et de la consommation d’espèces migratrices terrestres pour la viande d’animaux sauvages, axé sur 105 espèces inscrites à la CMS. Parmi ses conclusions, le rapport indique que la viande d’animaux sauvages constitue souvent une utilisation majeure et un moteur principal de la chasse légale et illégale, en particulier des ongulés et des primates, surtout en période de conflit ou de famine et dans le cadre des changements d’affectation des terres. Cela a conduit à d’importants déclins et à l’extinction de plusieurs populations de mammifères terrestres migrateurs.
Last updated on 13 April 2022