Pour conserver la faune de l’Arctique – Soyons actifs en Afrique

Le contraste est tellement grand entre les étendues gelées et vides du Grand Nord et les déserts brûlants, les forêts tropicales humides et les savanes de l’Afrique, que tout lien direct entre ces deux extrêmes semble tenu, si tant est que le moindre lien existe.  Et pourtant, les oiseaux migrateurs font ce lien au niveau environnemental, rattachant l’Arctique et l’Afrique, et sont la raison pour laquelle l’Accord de l’ONU sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA-UNEP) et le groupe de travail sur la biodiversité du Conseil Arctique - Conservation de la Flore et de la Faune Arctiques (CAFF) - ont passé un accord de coopération.

Le Conseil Arctique tient son premier Congrès sur la biodiversité arctique à Trondheim, en Norvège, et loin d’être de peu d’intérêt pour l’AEWA, ses délibérations sur la faune vivant dans les régions situées autour du Pôle Nord sont même d’une extrême importance.  Suite à la publication de l’Évaluation de la biodiversité arctique, en mai 2013, l’élaboration d’une stratégie sous l’égide de l’Initiative en faveur des oiseaux migrateurs de l’Arctique (Arctic Migratory Birds Initiative, AMBI) est en passe d’être achevée : un exemple concret de collaboration grâce à un travail pratique sur le terrain.

Les oiseaux se sont adaptés pour développer leur capacité à réaliser leurs voyages difficiles des sites de reproduction de l’Arctique à leurs sites d’hivernage, et vice-versa.  Leurs sites d’hivernage peuvent se trouver en Europe, mais dans certains cas, ils sont même situés en Afrique australe, comme c’est le cas pour le Bécasseau maubèche.

Environ 200 espèces d’oiseaux passent chaque année une partie de leur cycle biologique dans l’Arctique, mais pour beaucoup d’entre eux, l’Arctique constitue leur principale et parfois seule zone de reproduction. Parmi les 255 espèces et populations couvertes par l’AEWA, une large proportion niche dans le Grand Nord mais met le cap vers le Sud, à la recherche d’une nourriture abondante ou d’un temps plus clément.  Deux des espèces les plus gravement menacées figurant à la liste de l’AEWA – l’Oie naine et la Bernache à cou roux – se reproduisent dans l'Arctique.

Les conditions hostiles de l’Arctique ont limité les interférences négatives de l’homme et laissé les écosystèmes relativement indemnes.  Les peuples de l’Arctique ont toujours eu le plus grand respect de la nature – de sa générosité, de sa beauté et de son équilibre. L’un des problèmes auxquels l’Arctique n’est pas confrontée, est l’indifférence de ses populations locales.  Toutefois, ce n’est pas toujours le cas des nouveaux venus.  Les températures en hausse ont ouvert la région à l’exploitation du pétrole et du gaz, et la route maritime du Grand Nord  deviendra une réalité. Ceci accroît non seulement le risque de pollution, mais aussi la présence humaine, affectant l’équilibre fragile qui a subsisté pendant des siècles.

Avec l’élévation des températures, les aires de répartition de certaines espèces gagnent du terrain vers le Nord. Le Renard roux, par exemple, supplante son cousin arctique, lui faisant concurrence en tant que prédateur, ce qui peut se révéler avoir de graves conséquences pour ses proies.  Il ne s’agit que de l’un des effets du changement climatique, mais qui s’ajoute à l’étendue de la toundra qui dégèle, aux glaces des mers qui fondent et aux changements de calendrier, et ces effets combinés ont des conséquences de plus en plus dommageables dans la région. 

Malgré le manque apparent de connexion géographique, l’Initiative africaine de l’AEWA approuvée lors de la dernière Réunion des Parties à La Rochelle en 2012 et l’AMBI sont en fait des partenaires idéaux, agissant comme un pont enjambant la distance géographique et facilitant la coopération internationale si fondamentale pour la conservation des espèces migratrices.  La conservation de la nature et l’utilisation durable de la faune sauvage sont des domaines stratégiques nécessitant le soutien et l’engagement des communautés locales pour trouver des solutions viables et les mettre en œuvre efficacement.  Les leçons apprises dans une région peuvent être adaptées afin d’être appliquées dans d’autres, et la façon dont les communautés de l’Arctique gèrent et utilisent durablement leurs ressources naturelles offre des exemples pouvant s’avérer des modèles que d’autres peuvent souhaiter suivre.  Bien souvent, les oiseaux migrateurs sont appelés ‘les ambassadeurs de la biodiversité’, parce qu’ils fournissent le lien entre des sites qui, à première vue, ont peu en commun, mais qui en y regardant de plus près, partagent tant. 

Quand les grands navigateurs d’autrefois s’aventuraient sur des mers ne figurant sur aucune carte, ils ont commencé à se rendre compte de l’immensité du monde. Nous avons dû attendre l’ère de la communication satellitaire et des avions de ligne pour réaliser combien, au contraire, il était petit mais les oiseaux le savent depuis des millénaires.

Jacques Trouvilliez, Secrétaire exécutif de l’Accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie (AEWA)

Last updated on 08 July 2015